dimanche 1 mai 2011

Un après-midi à Gamarra.

Hola hola, chicas&chicos. Je réveille mon blog endormi, c'est le matin ici, on est dimanche, et déjà comme toujours le soleil assiège la maison fait des percées par toutes les ventanas, illumine des carrés de parquet, allume la cuisine qu'Adomas et Martin, mes deux colocataires, ont décidé de brûler aujourd'hui. Ils s'affairent, ces deux cocineros, à préparer des crêpes pour le petit déjeuner. L'équipe est européenne, Adomas est lituanien, Martin est Français; le résultat est...international! c'est dire si la réalisation a été revisité façon péruvienne! -NDLR: Martin vient à l'instant d'inventer une nouvelle composition crêpale...Banane, Avocat, Lucuma- Mais foi de Groumpf, c'est une belle matinée, et cette crêpe hybride n'est pas dégeux. Voilà pour le topo.
Déjà quelques lignes et le blog remue ses cendres; il prend à bras le corps de bonnes résolutions, exclame tout feu tout flamme "je vais grandir d'une demie-heure d'écriture par jour, c'est dit"! Et pour que le clou ne dépasse pas d'un poil dans la main il se rebelle encore un peu et tance "tant pis si je ne suis pas parfais, si je suis morcellé, écrit en chaos, mais je serai"! Voilà, il est debout.
Alors maintenant qu'il est bien éveillé, il se met en marche, palpite en touches tapées, et voyage dans le temps, dans l'espace, retourne deux mois en arrière, prend le combi qui crie "toda la Brasil, plaza Bolognesi", change à la "Plaza" puis file dans un nouveau tromblon multicolore et vibrant, casi mélangeant ses peintures à la vitesse, direction le chaos-monde du quartier des négoces, direction Gamarra, là où vient se fournir le Papa Noel, cour des miracles de la quincaillerie, du marché des textiles, zone de confluence aux reflets d'Inde, aux étals chargés.
Un jour de tristesse, un jour où l'inertie pesante de la distance te prend les tripes et te jette en solitude, plonge-toi dans le bain des foules de Gamarra, laisse-toi brasser par les crieuses de rues qui t'appellent "mi amor" et qui, ne te laissant pas filer de sitôt, t'amènent à la plus haute tour du château-vêtement alors que déjà tu vois flou et technicolor, puis t'offre des prix mirifiques pour un pull que tu n'achèteras pas mais qui t'aura coûté pourtant en pesant de sourires et mille mercis. 
En somme souriante et truculente, là, c'est commerce de gaieté.
Tu parcours les étals, tu marches les yeux levés, tends des guirlandes de building à building et danse; - pour paraphraser.
Les matières se vendent brutes, tout est à faire, elles attendent ton invention. Quelle cuisine avec tout ça?


Une porte t'attire plus qu'une autre; c'est à gauche. Tu entres dans une antre, l'immeuble le plus grand tu as choisi, évidemment. La tour est en vie, à tous les étages ça bruisse; des vendeurs ambulants proposent choclo con queso, maïs bouilli à gros grain avec fromage frais ou emolientes, boisson sucrée de fruits cuits avec des épices, etc...Chaque édifice est une cité à la Schuiten-Peeters. A tous les étages, alcôves au mille monde, travailleurs et enfants, tous confondus. "Qué estàs buscando amigo?"

On achète, on vend, on crée, on mange, peut-être même on y dort. Sans doute pas. La nuit est dangereuse, le site est gardé, les gringos sont tous rentrés. Sur le toit les chiens de garde passent le jour; ils descendent à la nuit comme tout bon molosse.

Le quartier lui, il s'étend comme un chat poussiéreux, peuplé, entre le centre historique limité par l'avenue sonore et chargée d'Abancay et les pueblos jovenes (bidonvilles) nés de l'immigration intérieure. Ils constellent, encombrent, colorent, assiègent, étouffent à tout horizons les collines -cerros- absolument désertiques et poussiéreuses de la ville. Les pueblos jovenes plus anciens, datant des années 1920, sont devenus désormais des quartiers, avec électricité, eau courante, peinture et crépis sur les maisons de ladrillo, brique. 30 millions de Péruviens, 8 millions de liméniens, beaucoup ont troqué la majesté des Andes, la rudesse superbe de la Sierra, pour le linéaire en bourrasque de la ville, pour le désert costeño qui ne connaît que la brume d'hiver.

C'est février, Carina vient d'arriver voilà à peine une semaine. Tant à voir, tant à faire! Et quel baptême pour le Pérou? Nous retrouvons Jitka, mon amie tchèque, étudiante en architecture, et son copain Marek, tchèque lui-aussi, qui travaillait il y a peu en Colombie. C'était un bel après-midi, le premier pas du voyage.





mardi 31 août 2010

Une fin de semaine au sommet: Marcahuasi

Bonjour à tous et à toutes qui lisez mon premier "post" sur ce blog. Oh malheur! Comme je suis en retard dans la narration de mes aventures! Déjà un mois que je suis au Pérou, et je ne trouve le temps que maintenant -encore est-il fugace et écrit sans prétention- de donner un bref aperçu. Mais l'année ne fait que commencer! J'espère bientôt trouver le temps -et l'énergie!- de faire de petits articles thématiques et tout le toutim sur mes jours liméniens et la vie péruvienne.
Pour l'heure, voici quelques brèves de mon weekend. Aproveche!

Marcahuasi, à 80km de Lima: quatre ou cinq heures de "Combi".
Vendredi soir, départ dans la nuit, nous sommes un groupe de 20 étudiants "los del intercambio", nous filons en combi jusqu'à Chosica, un pueblito où le soleil ne laisse pas de briller. Quitter Lima, s'enfoncer dans les terres péruviennes, c'est monter, toujours monter, à flanc de coteaux, sur des routes en terre, et s'élever au-dessus de la masse des nuages qui dort, chappe, sur la ville; trouver l'air frais et le soleil. L'air pur! Loin de la "contaminacion".
Sur la route, je ne doute plus que l'aventure existe, et je comprends le sens du mot dans toute sa mesure, à voir les ravins que nous longeons, les camions de chantier que nous croisons sur la sente qui grimpe. C'est effrayant, je suis à l'avant du combi, je regarde la route, si c'est une route, je regarde le conducteur affairé à sa conduite, observe ses mains aux sillons noirs de poussière, et note qu'il y a quasi un demi-tour de volant à faire avant que les roues répondent....Un virage, ici, ça s'anticipe...et il me semble que nous faisons davantage de glisse que de route. Les freins répondent, c'est déjà ça; le klaxon émet toujours un sifflet de catarrheux, on est prévenus, c'est déjà ça; et nous roulons de jour - c'est déjà ça. Le retour, nous l'avons fait de nuit; et le combi n'a pas apprécié quelques virages en épingle...Mon Dieu. Nous embrassons les cailloux, bing; nous nous arrêtons au millieux de la route pour que passe un camion, ouf; nous croisons avec force manoeuvres et négociation des conducteurs d'autre véhicules, scrouic, scrouic. Pour avoir la bonne image, il faut penser à deux bouquetins s'affrontant sur un rocher gros comme un pouce... Moi je chante, ça fait passer l'angoisse; et avec les autres, Adomas le lituanien, Evans le Californien, Emilie, Octavie, Justine la mexicaine nous rions pendant que les américaines cacardent à l'avant, racontent potin potin à grand coup de stick à lèvre. Les clichés ont la vie dure, mais ils ont une raison de vivre assurément!

Pourtant, la route se fait, nous grimpons, nous grimpons, les ponts résistent, comme les pneus, et apparaît au loin, très haut, sur un petit plateau ensoleillé avec des cultures en terrasse et des champs de maïs grands comme un jardinet -a shrubery!: San Pedro de Casta. Après la route, la première nuit passée à la belle étoile hors de Lima, je commence à comprendre, à percevoir la façon dont respire ce pays, et il me semble que se créée en moi-même un lien d'empathie avec le rythme des Andes. Je suis heureux, car, loin de la capitale, découvrant l'arrière-pays, je découvre quel est le son, quelle est la charpente ou la couleur de fond qui donne à la terre son étoffe. A Lima, je n'avais vu que l'éclair sans pouvoir entendre le grondement lourd, chargé, vivant de l'orage dans la vallée. C'est un tableau qui se complète peu à peu.
San Pedro de Casta: 3200m, un terrain de foot, un élevage de truites(!), une église au clocher tordu, des enfants qui jouent, les mères-couleurs au mille rubans et chapeaux qui discutent, un vieux plié en deux sous une charge de maïs, un sac de gravats, des touristes rapides de la gâchette, des ânes pour le portage. A chaque entrée de rue, des petites chapelles avec des ex-voto. N'oublions pas la vierge ni notre seigneur car ils habitent ici, sans aucun doute. L'altitude ne se fait pas encore sentir, mais nous achetons des feuilles de coca, du "kal" pour les travailler, et j'apprends à brouter moi aussi. Ma langue semble fondre, disparaître dans ma bouche en nuage. Au goût, rien à dire, c'est vert, comme une tisane passée. L'effet est comparable à celui d'un café, d'un coup de pouce passé dans le dos dans la montée. Nous cheminons, nous montons, passons des bosquets de cactus en culture, allons nous perdre plus haut encore dans la montagne où seuls demeure de petits buissons et de longues graminées. Le charme a déployé ses ailes. Résonne dans la montagne des airs de fête, un saxophone, une clarinette et une grosse caisse. Ce weekend, c'est jours de fête: on marque les vaches, on échange les veaux, on passe à leurs oreilles de nouveaux rubans, rubans de ciel et couleurs, on trinque. Il y a ceux qui travaillent, il y a la famille venue pour la journée, il y a ce petit garçon avec sa gaule pour contenir les vaches fugitives il y a son frère ou son père au lasso sur un veau. C'est une vraie communauté où l'harmonie s'entend dans la musique et ses couacs. On dit bucolique à raison. Nous montons. Nous arrivons. Marcahuasi, 4000m, et le souffle court, un mal de crâne léger comme l'air qui nous entoure, persistant jusqu'à tard dans la nuit.

Le site est lunaire, surréel, désertique, tiré d'un rêve fou  -  fait de pierres, de sable et de corridors. Suivre un chemin, c'est suivre la piste d'un de ses songes, dans le labyrinthe de sa pensée. Puis la falaise, l'à-pic et le promontoire, piste d'envol. Le soleil qui se couche sur nos pensées éveillées. Adomas joue de la flûte sans écho, de la "zampoña"; on devine dans la nuit l'air immense de la vallée. Dans les rouages du cœur et de l'esprit, il y a assurément des pierres qui ont bougé là-bas, des nœuds envolés avec les souhaits. Hier, malgré l'extrême fatigue du retour, je ne pus trouver le sommeil de toute la nuit, électrique, incapable d'endiguer l'inertie de ces choses vues, senties, comme une vague immense. A présent il me faut du calme, dormir, sortir cela de moi, reprendre la maîtrise, retrouver ma pensée. Quelle explosion. C'est presque trop. Tu ne tiens rien, tu ne tiens rien, et tu sens comme cela ruisselle, la vie, le sens, la matière. J'accompagnai mon sommeil perdu jusqu'à tard dans la nuit avec Theilard de Chardin. Il m'a semblé saisir.

Faute d'avoir assez de tente, je passe la nuit à la belle étoile. C'est un désert: chaud de jour, froid de nuit. Très froid pour la nuit. Au matin, de la glace sur mon sac et mon duvet; - épaisse. Nous sommes une communauté recroquevillée dans un cirque de pierre, niche naturelle et cosmique, bouquets d'étoiles. La lune se lève, brillante et couchée, son croissant comme un U au pôle sud; les étoiles se taisent devant sa lumière. Elle se lève, et c'est un jour cassant, bleu blanc qui se fait à la mi-nuit. Je ne peux pas dormir, je suis chargé, mes pensées en tous sens, la conscience en étincelle, braises égarées.
Au jour, nous marchons sur le plateau jusqu'à la "fortaleza", un ancien site pré-inca dressé sur son piton, comme une forteresse, où l'on retrouva des momies. Dans les rochers des formes de visages, d'animaux apparaissent. Contemplatif, seul un moment, observant le vol d'un rapace, prenant la mesure de l'espace, faisant converger souvenirs et présent, je pensais à ce poème de Segalen:
  
Vent des Royaumes

Lève, voix antique, et profond Vent des Royaumes.
Relent du passé ; odeur des moments défunts.
Long écho sans mur et goût salé des embruns
Des âges ; reflux assaillant comme les Huns.

Mais tu ne viens pas de leurs plaines maléfiques :
Tu n'es point comme eux poudré de sable et de brique,
Tu ne descends pas des plateaux géographiques
Ni des ailleurs, - des autrefois : du fond du temps.

Non point chargé d'eau, tu n'as pas désaltéré
Des gens au désert : tu vas sans but, ignoré
Du pôle, ignorant le méridion doré
Et ne passes point sur les palmes et les baumes.

Tu es riche et lourd et suave et frais, pourtant.
Une fois encor, descends avec la sagesse
Ancienne, et malgré mon dégoût et ma mollesse
Viens ressusciter tout de ta grande caresse.



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Puis le retour. Hors piste, dans la poussière, dans un pierrier. Je dévale, je glisse, il y a du risque et le cactus en face sur le raidillon. Nous sommes saouls, grisés de l'air retrouvé en plus basse altitude. Quatre mille mètres, c'est déjà quelque chose! Mais l'on s'habitue vite. En chemin, nous parlons avec un "senorita", vieille femme née ici, à San Pedro de Casta, en 1936. Elle descend elle aussi, elle a déjà fait l'aller-retour dans la journée avec sa mule de bât. Ses chaussures sont percées, elle n'a plus qu'une dent, mais elle a le pied sûr, la voix claire, elle rit avec nous et me demande si j'ai quelque chose pour enregistrer. Enregistrer? J'ai mon dictaphone! Nous sommes quatre garçon à discuter avec elle, elle si petite, et nous tremblons de respect. Elle nous chante "la chanson de Marcahuasi". Nous demande quelques soles. Récite pour nous un "Notre Père" et nous dit "la paz, la paz". Instant de grâce, sommet sur le sommet; départ où le cœur s'accorde au concert des hommes. Le soleil tombait sur les Andes et les prés verts, des cernes blondes aux feuilles, les clameurs de la fête et du match de foot en contrebas dans la vallée.




De retour au village, nous retrouvons les musiciens et la fête. Ce n'est pas notre fête, non, mais les habitants sont généreux; et je parle avec un homme qui m'invite à photographier l'assemblée, à me joindre à eux. Il faut noter à ce moment là qu'un certain alcool de maïs mélangé à du pisco devait couler dans beaucoup de veines! J'allais bientôt tâter du pisco moi aussi... Traître pisco. Puis le départ, et le temps qui reprend son cours, le quotidien, et l'anonyme des jours.